BOX OFFICE MONDE USA FRANCE
LE CORBEAU
28 SEPTEMBRE 1943
SYNOPSIS
A Saint-Robin, le Docteur Germain, nouveau venu, s'est vite fait une place en vue comme accoucheur. Une série de lettres anonymes signées "Le Corbeau" s'abat sur la ville, le dénonçant à la fois comme avorteur et comme amant de Laura, femme d 'un vieux médecin. Décontenancé par l'infamie de cette double accusation, Germain cède aux invites pressantes de Denise, belle fille légèrement infirme et de vertu fragile. Il veut ensuite se dégager, mais Denise s'attache à lui et le menace; La pluie de lettres anonymes se poursuit, multipliant les accusations calomnieuses. Un malade, à qui la gravité de son cas est révélée, se suicide ; au cours de l'enterrement, la foule accuse Marie, soeur de Laura, d'être le Corbeau : Marie est arrêtée. Les lettres anonymes reprennent de plus belle : Germain croit en surprendre l'auteur en la personne de Denise, qui affirme n'en avoir écrit qu'une, pour avouer à Germain qu'elle va être mère. Germain découvre un autre coupable, puis un troisième. L'épilogue dramatique montre la mère du malade suicidé tirant elle-même vengeance de la mort de son fils, et égorgeant le Corbeau.
ANALYSE
"Le corbeau" a durant de longues années ete assimilé à la sulfureuse compagnie qui l'a produit : la Continental- films. Dans la France occupée Alfred Greven, délégué responsable pour le Reich des affaires de cinéma en France crée en octobre 1940, une maison de production La Continental-Film. Une belle opportunité pour ce business man nazi qui a bien compris qu'en l'absence de films américains le terrain était favorable pour attirer dans les salles un public dont la principal loisir en temps d'occupation était de se rendre dans les salles obscures. Dans les faits il apparait que Berlin supervisera d'assez loin la continentale. Par rapport à d'autres productions situées en zone libre les films développés par la Continentale bénéficiaient de conditions de travail intéressantes : studios chauffés, de la nourriture, du matériel technique disponible,entre autres. Henri-Georges Clouzot ami proche et ayant un poste à la Continental (il supervise les scénarios) de Greven va bénéficier de bonnes conditions de travail pour son premier film "L'assassin habite au 21" et pour ce "Corbeau". Clouzot va retrouver pour la seconde fois l'acteur Pierre Fresnay qui est sans doute le plus grand acteur du pays depuis le départ de Jean Gabin aux USA, mais aussi la sulfureuse Ginette Leclerc et une pléiade de fameux acteurs qu'il retrouvera dans ses futurs films.
La trame du film est très simple, un corbeau sème le désordre et la suspicion dans une petite ville française. La principale victime du corbeau, le docteur Germain va chercher à démêler l'écheveau pour retrouver l'auteur des lettres tel un inspecteur de police. Évidemment on ne peut s'empêcher de trouver culotté que Clouzot en fasse le thème principal de son film en pleine France occupée où la dénonciation des juifs, mais pas que, est légion courante.
Dans ce microcosme tout le monde connait tout le monde et chacun à un rapport avec l'autre :Marie Corbin (Héléna Manson), l’infirmière et sœur de Laura ; Laura Vorzet (Micheline Francey), assistance sociale mariée au vieux docteur Michel Vorzet (Pierre Larquey), psychiatre. Il y a encore le directeur de l’école, Salliens (Noël Roquevert), père de Rolande et frère de Denise (Ginette Leclerc). Voilà pour les principaux. Il y a aussi le docteur Bertrand (Louis Seignier), confrère du docteur Germain tandis que le docteur Delorme (Antoine Balpêtré) est le directeur de l’hôpital. Nous découvrirons peu à peu que chacun ment, vole, chacun a ses petits secrets inavouables et que surtout chacun déteste ou jalouse l'autre. Après plusieurs fausses pistes le spectateur découvrira le vrai coupable ou plutôt celle derrière tout cela, Laura, qui jouait la Sainte-nitouche qui ne pouvait supporter les ragots sur sa supposée relation avec le bon Docteur était tout simplement une femme amoureuse de lui et jalouse.
Jalouse car un autre aspect du film est l'improbable liaison un peu contre nature qui va naitre entre Remy et la jeune vamp Denise. Elle a un peu "la fesse facile" comme disait ma mère. Denise est fort jolie mais est infirme. Elle drague ouvertement le bon docteur qui pas dupe fera comprendre à la belle qu'il ne mange pas de ce pain là, avant de le manger bien sûr. De cette liaison improbable et vouée à l'échec naitra une vraie histoire d'amour entre les deux et un havre de paix inespéré pour lui. Comme quoi.
L'interprétation est bien sûr la grande force du film et Clouzot démontre qu'il est déjà un brillant directeur d'acteurs. Comme d'habitude Pierre Fresnay, un peu vielle France est parfait dans le rôle de ce médecin pisse froid mais qui ne manque pas de cœur. Ginette Leclerc joue la vamp fatale et prend la pose comme seule elle à le secret. toute autre qu'elle aurait été ridicule, elle est superbe, pour beaucoup c'est son meilleur rôle. Rien à dire pour le reste du casting.
"Le corbeau" est un peu plus qu'un film à énigmes, c'est aussi une étude sans concession de l'être humain dans certains de ses travers. A bien regarder, peu de choses ont changé aujourd'hui. Les "corbeaux" existent toujours seule la technique a évoluée. Aujourd'hui c'est sur les réseaux sociaux qu'ils sévissent dans l'anonymat.
C'est un coup de maître pour Clouzot dans une mise en scène inspirée et à la direction d'acteurs sans faille.
A la libération beaucoup de comptes vont se régler. La plupart des artistes qui ont participé aux films de la Contiental ont affronté bien des problèmes et la vengeance de la foule mais aussi de la profession. Interdit à vie d'activité professionnelle dans le cinéma Clouzot a vu sa sanction ramenée à deux ans. Pierre Fresnay et Ginette Leclerc ont eu aussi bien des ennuis, on parlait de "collabos" en ce temps-là. Étrangement un acteur comme Fernandel qui a pourtant tourné pour la Continental s'en est tiré blanc comme neige. Par contre Ginette Leclerc après a peu près une année d'emprisonnement n' a jamais retrouvé l'éclat de sa splendeur cinématographique.
Avec le temps ces histoires furent peu à peu oubliées et le "Corbeau" a acquis son indiscutable statut d'oeuvre majeure du cinéma français.
EXCLUSIF ! POUR LA PREMIÈRE FOIS LE BOX OFFICE DU CORBEAU PAR LAURENT AUMAITRE
Sorti au Normandie le 28 septembre 1943, ce fut un succès immédiat. Il attira 35 425 spectateurs lors de sa première semaine complète et 35 316 la suivante. Ce furent respectivement les 3ème et 4ème meilleures semaines du Normandie de l’année 1943. La journée du 10 octobre étant même la deuxième plus grosse journée de toute l’année de la salle avec 8245 entrées.
Au total, après 10 semaines d’exclusivité au Normandie, 237 995 parisiens avaient vu le film, puis 104 014 en 12 semaines au Cameo. A la fin de sa première exploitation, il avait fait 722 176 entrées sur Paris intra-muros. Repris en 1947, il fit encore 119 912 entrées à Paris, puis encore 208 738 pour sa reprise de 1948.
Depuis sa sortie il cumulait 1 191 187 entrées sur Paris en 2013.
Je n’ai malheureusement pas de chiffres France pour la période 1943-1951, mais entre 1952 et 2013, il fit 78 214 entrées en province.
Son succès en province est total comme en atteste les quelques chiffres suivants datant d’octobre 1943 :
Au Scala de Lyon, 2262 entrées pour son premier jour., 283 412 francs de recettes pour 16 000 entrées la première semaine (un record pour cette salle).
445 079 franc au Capitole de Marseille en une semaine.
442 533 francs au Variétés de Toulouse la première semaine et encore 247 056 la deuxième.
550 000 francs en 2 semaines dans trois salles de Nice.
189 529 francs à Toulon sa première semaine d’exclusivité.
816 800 francs en 3 semaines au Familia de Lille (salle de 1083 places).
Puis, en 1944, dans les salles de continuation, le succès continue, comme à Marseille :
172 327 francs au Majestic, 45 709 au Noailles, 77 013 au Coemedia et 147 114 au Studio, le tout en une seule semaine.
En tenant compte du ratio Paris/province de l’époque on peut estimer ses entrées sur la France entre 1943 et 1951 à 4 675 000.
A l’étranger, à une époque où le cinéma français avait beaucoup de mal à s’imposer, « Le corbeau » réussit à être un gros succès en Argentine. Au Los Angeles et au Biarritz de Buenos Aires il rapporta la somme colossale de $55 000 américains en seulement 4 semaines. A la fin de son exclusivité, 225 000 spectateurs avaient vu le film en 13 semaines dans ces deux salles.
Par contre il ne fit pas d’étincelles aux USA où il rapporta moins de $40 000 distributeur.
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