TOUCHEZ PAS AU GRISBI
19 MARS 1954
SYNOPSIS
Dans le Milieu, l'amitié de Max le Menteur et de Riton est légendaire, ainsi que la rigueur de Max concernant le fameux code de l'honneur de la pègre. Ce que le Milieu ignore, c'est que Max et Riton sont les responsables d'un hold-up retentissant qui eut lieu à Orly et où disparurent cinquante millions en lingots d'or. Mais Riton parle trop : il a confié ce secret à Josy, sa maîtresse, qui s'est empressée de le répéter à Angelo, son nouveau "protecteur", un trafiquant de drogue montmartrois. Ce dernier, avec l'aide de quelques complices, tente d'enlever Max, puis kidnappe Riton pour lui faire dire où est caché le butin (en argot : le grisbi). Devant le mutisme de son prisonnier, Angelo décide de pratiquer un chantage envers Max : la vie de Riton contre les lingots... Paralysé par son amitié, Max accepte. L'échange s'effectue sur une route nationale de la banlieue parisienne. Mais Angelo ne veut rien laisser au hasard : il a projeté de liquider Max et ses amis après l'échange. Un règlement de comptes en voitures s'ensuit. Angelo et sa bande sont abattus, mais Riton est grièvement blessé et Max est contraint d'abandonner son butin dans la voiture d'Angelo en flammes. Le lendemain, Max apprend la mort de Riton. Aux côtés de sa maîtresse américaine, Betty, il songe amèrement aux derniers événements : en une nuit, il a perdu son meilleur ami et le grisbi avec lequel il espérait enfin prendre sa retraite...
ANALYSE ET BOX OFFICE
Au début des années 50, le "polar" rencontre le succès sous forme de livres de poche, un format importé des USA qui permet d'emporter avec soi des livres faciles à lire dans les transports en commun ou au plumard. Le premier volume de la célèbre collection "série noire" publié par Gallimard sort en 1949. Il s'agit de "La môme vert-de -gris" écrit par Peter Cheyney . Le public français découvre le polar à l'américaine, ce qui n'est pas tout à fait exact le cas échéant, car Peter Cheyney est Anglais. Le genre rencontre beaucoup de succès, cette littérature devient "branchée". Devant le succès de cette collection, des auteurs français écrivent eux aussi leurs romans policiers. Les histoires se déroulent majoritairement en France, et vont présenter des personnages hauts en couleur, des mauvais garçons qui parlent un langage particulier: l'argot. Un style propre qui va voir éclore des talents tels Auguste Le Breton, Albert Simonin puis plus tard José Giovanni. Aux éditions "Fleuve Noir" un jeune auteur débute confidentiellement : Frédéric Dard, avec son célèbre San-Antonio.
Devant le succès rencontré par cette nouvelle littérature, le cinéma français ne tarde pas à réaliser des adaptations. En 1953, "La môme vert de gris" réalisé par Bernard Borderie avec Eddie Constantine dans le rôle de Lemmy Caution rencontre un beau succès. Eddie Constantine devient une vedette et tourne dans "Cet homme est dangereux" qui aura encore plus de succès.
Jacques Dorfmann et Cino Del Duca décident d'adapter "Touchez pas au grisbi" le premier roman d'Albert Simonin qui a rencontré un vif succès de librairie. Albert Simonin va adapter son propre roman avec l'aide de Jacques Becker. Le célèbre réalisateur de "Casque d'or" et de "Rue de l'Estrape" a bien besoin d'un succès commercial. Si le sujet du film ne l'inspire pas de prime abord, il livre un scénario précis, net, plein de rigueur. Coproduction franco-italienne les producteurs pensent à Jean Gabin pour jouer le rôle de Max car l'acteur est bien connu de l'autre coté des Alpes, mais Becker qui aime la jeunesse et est très attiré par la nouvelle génération choisit Daniel Gélin. Contre toute attente l'acteur refuse car il se trouve trop jeune pour le rôle et propose lui même Jean Gabin. Le réalisateur refuse les évidences et propose le rôle à François Périer qui accepte. Mais Becker est connu pour hésiter et revenir sur ses choix, et peut être se rend il compte que Périer est un bon acteur mais qui n'est pas un cador du box office. Il téléphone à Gabin pour lui proposer le rôle. L'acteur a un peu de temps devant lui, car le tournage de "L'air de Paris" est retardé mais il accepte. Ne reste plus à Becker d'expliquer à Périer qu'il ne jouera pas dans un film qui aurait pu changer sa carrière.
Concernant les seconds rôles, Becker hésite beaucoup, le choix du casting est primordial. Alors que le tournage approche, il surprend Paul Frankeur venu saluer son pote Gabin sur le plateau de tournage. Il est embauché sur le coup pour le rôle de Pierrot. Pour le rôle de "Riton" Becker fait appel à René Dary qui a le même âge que Gabin. Les deux se connaissent bien, et l'osmose devrait être parfaite entre les deux.
Du coté du casting féminin l'expérimentée Dora Doll, magnifique pin- up mariée à Raymond Pelletiérine jouera Lola l'amie de Josy. C'est une actrice qui a déjà beaucoup tourné en particulier avec Jean Delannoy. Josy est jouée par la valeur montante du cinéma, la jeune Jeanne Moreau, une actrice très réputée par les prix qu'elle a obtenu au Conservatoire. Elle joue une jeune danseuse de cabaret, une petite gouape qui joue un jeu dangereux en étant la maîtresse de deux truands. Il est vrai que l'on peut être étonné de la voir jouer les "poules", alors qu'on l'avait déjà vue plus sage avec Fernandel par exemple, dans "Meurtres".
Mais bien sûr, l'histoire retiendra que le film va permettre l'éclosion d'une future star du cinéma français. Becker cherche quelqu'un de nouveau, une gueule inconnue pour jouer "Angelo" le mauvais garçon. Il a repéré un ancien champion de lutte, Lino Ventura. Celui-ci est retraité des rings depuis un grave accident survenu au cours d'un match. Il lui propose de venir sur les plateaux de cinéma. Assez inconscient, Lino se rend sur le plateau et exige de voir Gabin en personne. Tout le monde frissonne, car Gabin c'est une star, et lui n'est rien. Mais Gabin le reçoit pépère, cela rassure Lino qui accepte. Au cours du tournage Gabin confie à sa femme qu'il vient de rencontrer un jeune gars qui a une sacré personnalité et il lui déclare qu'il ira loin. Il faut dire que dans le film Lino Ventura dispose encore d'une impressionnante carrure acquise au cours de la pratique de son sport, et qu'il ressemble à un vrai dur dans son costume sur mesure.
Avec ce casting imposant, le tournage du film peut commencer. Becker bénéficie d'un budget qui lui permet de réaliser une mise en scène très propre, très précise. Le film se déroule dans le Paris des années 50. Dans un café restaurant de Montmartre, la fête bat son plein. Tout le milieu s'est invité à la fête et le "quidam" est prié de dîner ailleurs. Tout le monde se connait et Max "Le menteur" est LA figure du coin. C'est un cador, un seigneur. C'est un milieu où la sape et l'argent sont rois. Ce sont des bourgeois du milieu en quelque sorte, Max, c'est la classe, interprété par un Jean Gabin impérial qui en impose dans son costard. L'œil vif, le ton sec, il n'hésite pas à arroser pour assoir sa réputation. Le spectateur se doute depuis le début que Max est l'auteur d'un braquage à Orly qui lui a rapporté 50 millions en lingots d'or. Bien sûr, il reste très discret sur ce sujet délicat. Becker observe un bon moment cette bande d'amis un peu particuliers. Cette description méticuleuse du milieu n'est pas sans rappeler celle réalisée par Martin Scorsese dans "Les affranchis". Conformément à la légende, le petit groupe est composé de Max et de son inséparable ami Riton qu'il appelle affectueusement "Petite tête de hérisson". Celui-ci sort avec Josy, son amoureuse. Celle-ci est bien plus jeune que Riton. Elle est danseuse avec son amie Lola dans un très chic club qui appartient à Pierrot, un ami de Max. Marco, un jeune homme en quête de "travail" est le petit protégé de Max.
Le petit groupe se rend dans le club où travaillent les filles. Durant le trajet Lola fait du rentre dedans à Max, mais celui-ci est réticent, il botte en touche. Il parait avoir du recul par rapport aux autres, il possède de l'expérience. Dans le club, danseuses et champagne font bon ménage. Max est convoqué par Pierrot et pelote en passant celle qui est venue le chercher. Dans le film les femmes possèdent de larges décolletés qui mettent en valeur une poitrine provocante ce qui conforte l'imagerie populaire faite autour de ce milieu. Angelo, joué par Ventura est le portrait type du mauvais garçon pas très recommandable. Ce n'est pas un seigneur mais un besogneux qui fait business. Max ne l'apprécie pas mais sait se faire respecter de cette nouvelle génération prête à tout pour réussir.
Max surprend Josy à fricoter avec Angelo. Il ne fait pas tout d suite le rapprochement. Il rentre tranquillement chez lui, mais son taxi s'aperçoit qu'ils sont suivis. Max tend facilement un piège à ses suiveurs et constate que ce sont des hommes d'Angelo. Il comprend le nœud de l'affaire. Il appelle Riton à son hôtel et interrompt son business avec Angelo. Max et Riton se rendent dans la cachette de Max, un charmant pied à terre cossu et meublé avec goût. Max montre sa cachette, les lingots sont cachés dans le coffre d'une grosse américaine. Il engueule Riton, car celui-ci a parlé du casse à Josy et celle-ci a donné le morceau à Angelo. Donc Angelo veut "piquer" le magot à Max. Pour Max cet argent représente la quille, la garantie d'une retraite paisible. Il en a marre du milieu. Piqué au vif Riton veut s'expliquer avec Josy, mais Max lui demande de le laisser faire. Il va refourguer en vitesse les lingots à un receleur et basta.
Mais Riton fera des bêtises et ira se jeter dans la gueule du loup. L'affrontement entre Max et Angelo sera inévitable et même si Max parvient à régler Angelo, Riton blessé perdra la vie mais jamais Max en voudra à son pote. L'amitié est sacrée au-delà de tout. Max cache sa peine
En 90 minutes Becker jette les bases d'un genre qui va durer une bonne dizaine d'années sur les écrans. Le sujet basique, un truand veut piquer le butin d'un autre truand, mais un superbe traitement des personnages. Le milieu est fort bien décrit avec les codes d'honneur et d'amitié. C'est aussi une réflexion sur le temps qui passe. Le film est bercé par la complainte triste à l'harmonica écrite par Jean Wiener. Cet air deviendra aussi connu que le film.
- BRUXELLES - le film sort le 2 avril 1954 dans 3 salles Pathé (Marivaux, Pathé-Ixelles, Pathé-Palace), réalisant 806 000 francs belges en première semaine et 439 000 FB en deuxième semaine. Soit un total de 1 245 000 FB pour son exclusivité sur Bruxelles, puisque le film n'a pas connu de troisième semaine sur les salles d'exclusivités bruxelloises (Didier Noisy).
- ALGER le film sort le 29 octobre 1954 dans les 5 salles du circuit Seiberras (Empire, Majestic, Mondial, Régent, Variétés), réalisant 43 559 entrées en première semaine et 10 633 entrées en 2ème semaine (au Régent et Majestic uniquement). Soit un total de 54 192 entrées (pour une recette de 8 752 345 frs), lors de son exclusivité à Alger. (Didier Noisy)
CATÉGORIE | RANG | ENTRÉES | SALLES |
ENTRÉES FRANCE | 4 | 4 717 734 |
|
1ère semaine FRANCE | 46 036 |
2 | |
2ème semaine FRANCE | 64 105 |
6 | |
3ème semaine FRANCE | |
93 517 |
10 |
4ème semaine FRANCE | 68 103 |
8 |
|
5ème semaine FRANCE | 66 606 |
8 | |
6ème semaine FRANCE | 152 504 |
25 | |
7ème semaine FRANCE | 89 087 |
18 | |
31ème semaine FRANCE | 211 503 |
40 | |
32ème semaine FRANCE | 145 210 |
34 | |
ENTRÉES PARIS BANLIEUE | 1 800 000 |
||
1ère semaine | 3 | 46 036 |
2 |
2ème semaine | 3 | 41 499 |
2 |
3ème semaine | 3 | 36 978 |
2 |
ENTRÉES ITALIE |
75 | 2 500 000 |
|
Cote du succès | * * * * * |
LINO VENTURA RACONTE SA PREMIERE RENCONTRE AVEC JEAN GABIN