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Par Renaud SOYER le 15 Février 2008 à 09:35
LA GRANDE ILLUSION
9 JUIN 1937
- Réalisateur : Jean Renoir
- Scénario et dialogues : Charles Spaak, Jean Renoir
- Assistants réalisateur : Jacques Becker, Robert Rips
- Photographe de plateau : Sam Levin
- Musique : Joseph Kosma (Éditions Smyth)
- Directeur de production : Raymond Blondy
- Pays d'origine : France
- Production : Frank Rollmer, Albert Pinkévitch pour Réalisations d'Art Cinématographique (R.A.C.)
- Distribution : R.A.C, puis Cinédis, Filmsonor Gaumont
- Tournage : Hiver 1936-1937
- Affiche : Bernard Lancy
- Format : Noir et blanc - Mono - Pellicule 35 mm - Tirage : Laboratoire Franay L.T.C
- Genre : Guerre, Drame
- Langue : français, allemand, anglais, russe
- Durée : 114 minutes (1937 : 94 minutes)
- Dates de sortie :
- France : 9 juin 1937 (première au Marivaux à Paris)
- États-Unis : 12 septembre 1938
- Jean Gabin : lieutenant Maréchal
- Dita Parlo : Elsa
- Marcel Dalio : lieutenant Rosenthal
- Pierre Fresnay : capitaine de Boëldieu
- Erich von Stroheim : capitaine puis commandant von Rauffenstein
- Julien Carette : Cartier, l'acteur
- Georges Péclet : le serrurier
- Werner Florian : sergent Kantz, dit Arthur
- Jean Dasté : l'instituteur
- Sylvain Itkine : lieutenant Demolder, dit Pindare
- Gaston Modot : l'ingénieur au cadastre
- Jacques Becker : l'officier anglais qui casse sa montre
SYNOPSIS
Pendant la Première Guerre mondiale, l'avion du lieutenant Maréchal et du capitaine de Boëldieu est abattu par le commandant von Rauffenstein, un aristocrate connaissant par hasard la famille du capitaine de Boëldieu. Les deux officiers français sont envoyés dans un camp en Allemagne. Là, ils retrouvent de nombreux prisonniers français, britanniques, et russes, de tous grades et issus de différents milieux sociaux. Ensemble, les prisonniers organisent différentes activités, partagent leurs maigres ressources et vivent au rythme des nouvelles de l'armée française qui prend et perd successivement des positions sur le front nord, notamment lors de la bataille de Douaumont. La chambrée, outre Maréchal et Boëldieu, regroupe également le lieutenant Demolder, un amoureux des lettres, le lieutenant Rosenthal, fils d'une riche famille juive dans les finances, un ingénieur du cadastre et Cartier, un sergent populaire et volubile. Ils décident de s'échapper du Lager en creusant un tunnel dans des conditions périlleuses. La veille de leur évasion, le sort veut qu'ils soient transférés dans un autre camp. Les mois passent. Maréchal et Boëldieu, après diverses tentatives d'évasion avortées, sont transférés dans un ultime camp fortifié en montagne, où ils ont la surprise de découvrir qu'il est dirigé par von Rauffenstein, maintenant infirme après une grave blessure et inapte au service actif. Ils retrouvent également, par hasard Rosenthal. Les deux officiers aristocrates se respectent et fraternisent plus ou moins, ayant en commun leur milieu et leur éducation, sous le regard de Maréchal l'ouvrier et de Rosenthal le fils de banquier juif. Poursuivant leur projet d'évasion, Maréchal et Boëldieu montent un stratagème raffiné pour s'échapper, mais un certain honneur personnel vis-à-vis à la fois de von Rauffenstein et Maréchal, pousse Boëldieu à se sacrifier pour couvrir la fuite de Maréchal et Rosenthal. L'évasion des deux compères réussit, mais Boëldieu est abattu par accident par von Rauffenstein, forcé par le devoir de tirer en direction de celui qui était devenu presque un ami. Dans leur fuite vers la Suisse à travers la campagne allemande, dans le froid et la neige, affamés et épuisés, Maréchal et Rosenthal sont accueillis dans une fermette par Elsa, une jeune femme qui élève seule sa fille Lotte et mène au mieux l'exploitation. Tous les hommes de la famille d'Elsa sont morts à la guerre, dans des batailles qui sont autant de grandes victoires allemandes. Rosenthal, blessé, et Maréchal décident de passer quelques semaines là pour reprendre des forces avant de reprendre leur route. Maréchal tombe amoureux d'Elsa, laquelle revit par la présence des pas d'un homme dans sa maison. Le soir de Noël, ils passent la nuit ensemble. Le jour du départ arrive, Maréchal, avec Rosenthal, reprend sa route vers la Suisse, tout en promettant à Elsa de revenir après la guerre, s'il vit toujours. Ensemble, ils franchissent finalement la frontière suisse.
ANALYSE
Jean Gabin traverse sa meilleure période cinématographique où les grands classiques s'enchainent. Généralement fidèle à Julien Duvivier il apprécie Jean Renoir avec qu'il aime partager les plaisirs de la table. Courtisé par tous les meilleurs réalisateurs il utilise toute son influence afin que le nouveau projet de Renoir voit le jour. Sans Gabin le film ne se fera pas, Jean Renoir le sait bien, et son film "La Grande illusion" sera centré sur deux rôles principaux tenus par Gabin et Pierre Fresnay et si on ajoute des comédiens de la carrure de Marcel Dalio et Julien Carette on obtient du très lourd sur l'affiche. Au départ donc le film contera l'histoire de prisonniers français des Allemands lors de la première guerre mondiale l'occasion de développer l'étude sociologique de ce groupe de prisonniers en particulier entre Boeldieu un officier français issu de l'Aristocratie et un autre gradé lors de circonstances de guerre mais qui est prolo dans la vie. On le sait Gabin est un spécialiste des rôles des (superbes) prolos. Le film a donc un caractère social très prononcé.
Ce qui aurait pu être un bon film de guerre va gagner en profondeur d'une manière inattendue. André Brunelin qui fut le secrétaire de Gabin a pu obtenir une version qui semble crédible grâce aux témoignages concordant de deux des principaux témoins de l'histoire. A 50 ans l'américain Erich Von Stroheim est un réalisateur rincé. Sa carrière il l'a effectué aux USA, mais il ne trouve plus de producteurs pour ses films pas assez commerciaux. Il émigre en France où il joue un rôle d'allemand aux cotés d'Edwige Feuillère dans "Marthe Richard au service de la France" qui rencontre du succès. A quelques jours du début du tournage de "La grande illusion" Raymond Blandy le Directeur de Production rencontre à un cocktail Stroheim. Très impressionné par son rôle dans "Marthe Richard" il lui propose de jouer un rôle d'officier Allemand dans "La grande illusion" (qui est à la base un tout petit rôle). Raymond Blandy pas spécialement cinéphile sur les bords ignore totalement que Stroheim est d'une part américain et que d'autre part c'est un grand réalisateur de l'époque du cinéma muet. Stroheim est trop content de pouvoir rester en France et de gagner un peu d'argent même s'il n'a jamais entendu parler de Jean Renoir-ce qu'il avouera plus tard.
Le lendemain Blandy appelle Jacques Becker pour l'informer qu'il a embauché un acteur Allemand pour le petit rôle d'officier et qu'il dédommagera l'acteur prévu. Lorsque Becker apprend le nom de l'acteur il demande à Blandy si il sait qui il est. Blandy lui répond que c'est l'acteur qui joue dans "Marthe Richard". Becker appelle Renoir pour l'informer que Blandy vient juste d'embaucher Erich Von Stroheim pour un rôle de figuration comportant 4 répliques. Panique chez Renoir qui connait l'oeuvre de Stroheim qu'il admire. Becker lui conseille de recevoir Von Stroheim avec Blandy ce qui est fait. Malgré les difficultés liées à la langue, la rencontre se passe bien étant donné que Stroheim repart avec un chèque d'acompte lors de la rencontre où Renoir s'est montré très très évasif sur son rôle, et pour cause !
Deux jours après le tournage débute en Alsace. Resté à Paris Stroheim en a profité pour se faire confectionner un magnifique costume d'officier Allemand auquel il a ajouté quelques accessoires comme un corset et une minerve car il a l'idée de faire du personnage un officier blessé de guerre. Lorsqu'il se rend chaque jour sur le tournage il se présente à Renoir en claquant des talons et lui demander s'il tourne ce jour. Avec mille manières Renoir lui explique que ce n'est pas encore son jour de tournage et lui demande de patienter à l'Hôtel. Le soir, alors qu'il tourne le film, Renoir écrit dans l'urgence avec Françoise Giroud et Jean Becker le rôle de Stroheim qui prend de l'épaisseur.
Le gros problème est qu'il a bien fallu expliquer à Gabin que le film prévu à l'origine pour être un duo entre lui et Fresnay accueillait un troisième personnage bien imprévu et que forcément sa part à l'écran allait quelque peu diminuer. Le grand risque est de fâcher Gabin sans qui le film n'aurait jamais eu la moindre chance d'être réalisé tous les producteurs l'ayant refusé. Contre toute attente Gabin laisse faire car il a confiance en Renoir et son équipe ce qui ne l'empêche pas de marmonner quelques remarques envers Stroheim du style "Y en a que pour le Schleu"... D'ailleurs pour le repas de fin de tournage, Gabin n'aura pas loupé l'occasion de se moquer de Stroheim qui aviné, s'effondre dans un paravent devant tout le monde...
Il n'empêche que Renoir prend en compte les idées de Stroheim et en profite pour donner au film son sens humaniste. D'un coté il y a l'aspect lié aux conventions et au respect entre les officiers. Von Rauffenstein s'excuse devant Boeldieu cloué sur son lit de mort de lui avoir tiré dessus, ce dernier ne lui reprochant rien d'autre que d'avoir fait son devoir d'officier. Le respect, voire l'admiration entre les officiers donne un ton d'humanité à cette guerre, c'est presque une guerre idéalisée où le conflit est lointain. En effet pas de scènes de batailles, tout au plus est-elle évoquée lors de la scène du repas entre officiers au début du film. La guerre on en parle, mais on ne la voit pas. Si Stroheim compose un officier Allemand inoubliable, on ne saura vraiment jamais si c'est l'acteur qui a influencé le réalisateur ou si c'est Renoir qui a écrit ce rôle. Disons que c'est une circonstance heureuse, la part du hasard qui a fait que l'acteur américain a intégré le tournage, mais Renoir et son équipe en ont parfaitement profité pour étoffer le film. Mais Jean Gabin aurait tort de faire grise mine, une grande part du film lui est réservée comme il se doit. C'est bel et bien l'interprète principal et il est merveilleux comme toujours. Sa présence physique et son jeu moderne sont au firmament. Il a 32 ans et dégage une impression de force et une grande conviction. Et bien sûr il y a cette romance plus évoquée que montrée avec pudeur entre son personnage et la veuve allemande( Dita Parlo) qui l'a accueilli, lui et son compagnon d'infortune lors de leur évasion. Un message d'amour entre le peuple allemand et français. Mais le film aura su tirer profit de la grande composition de Pierre Fresnay en officier aristocrate plus vrai que nature et les grands Carette et Dalio formidables seconds rôles, sans oublier la belle et émouvante prestation de Dita Parlo. Au final Jean Renoir aura su se sortir de toutes les embûches possible et livre un très grand film, sorte de "Grande évasion" avant l'heure teinté d'une grande touche d'humanisme, loin des guerres actuelles jouées a grands coups de frappes aériennes et de drones tueurs où l'ennemi devient virtuel. Un film au message funestement annonciateur de la seconde guerre mondiale lorsque Maréchal déclare à Rosenthal à la fin du film qu'il espère que c'est la dernière guerre et que ce dernier lui répond qu'il se fait des illusions.
Le reste est de l'histoire. La partie liée au grand succès du film est développée dans la section dédiée. "La grande illusion" est considéré comme un des plus grands films français de l'histoire. Véritable ambassadeur en Europe mais aussi aux USA il a assit la réputation du cinéma français.
BOX OFFICE (par Laurent Aumaitre)
Et bien, à vrai dire, je crois que La Grande Illusion est de loin le plus gros succès de la carrière de Gabin. Du moins sur la totalité des exploitations. En effet, ce dernier à dépassé les 6.5 millions d'entrées rien que depuis 1945. Et d'après un classement similaire à celui de 1938, il était la plus grosse recette de l'année 1937 pour un échantillon des 550 plus grosses salles de France. Et assez nettement à en croire les exploitants. Sorti en exclusivité au Marivaux de Paris le 9 juin 1937 ou il est joué sans interruption de 10H le matin à 02H00 du matin, il engrange 1.55 million de francs en un mois et attire 200 000 spectateurs en 2 mois dans cette seule salle. En province le succès semble identique puisqu'à Marseille il rapporte 518 183 franc au Capitol en 3 semaines (environ 15000 entrées), au Majestic de Nancy il rapporte 79 000 francs en 1 semaine (2250 entrées). Et c'est 212 000 francs (6000 entrées) en 2 semaines qu'il rapporte dans une seule salle de Toulouse.
Dire que la grande illusion n'a pas marché est une désinformation à ce niveau. En effet, dans la Cinématographie Française de l'époque, le nombre d'articles évoquant des records de recettes partout où il était diffusé sont légion. La seule chose de juste est que Renoir ne trouvait personne pour financer son film jusqu'à ce que Gabin s'engage à jouer dedans. Gabin qui un jour déclara que ce seul film aurait suffit à le faire vivre toute sa vie. Je rappelle que d'après le classement annuel des 550 plus grande salles de France il n°1 en 1937.
200 000 entrées au Marivaux (1200 places) c'était un record de fréquentations dans cette salle. Cela représente une moyenne de 25 000 spectateurs par semaine sur 8 semaines d'affilées. C'est énorme ! 2 millions d'entrées ? Je dirais que plus de la moitié à dû être fait rien qu'à Paris.
Les recettes que je vous ait communiqué pour les 3 villes de province sont des records pour ces salles. De plus 6.5 millions d'entrées depuis 45, c'est à ma connaissance le plus gros score d'après-guerre pour un film des 30's. C'est plus d'un million suplémentaire que les Temps Modernes par exemple. Seul Robin des Bois avec Errol Flynn s'approche de ce score.
J'ai lu à 2 reprises dans des livres écrits par des historiens américains du cinéma (dont Tino Balio, une référence) que La Grande Illusion avait été le plus gros succès de la décennie ! D'ailleurs pour en revenir aux fameux classement annuels qui ont été publié entre 1936 et 1938 (seulement), les distributeurs attribuaient des points en fonction des recettes. Façon de faire assez bizarre, mais qui a toutefois le mérite de permettre une comparaison entre différents films à succès. César, champion de 1936 obtint ainsi 3020 points, Blanche Neige (n°1 de 1938) 3750 points, Quai des Brumes 2498 points, Ignace et Un carnet de bal (2 triomphes de Fernandel) eurent respectivement 9810 et 7125 points. La Grande Illusion établit le record de ces 3 classements avec 12500 points. Le seul à passer les 10 000 points. Cela donne une idée de son succès à l'époque.
Personnellement je pense que le film à put atteindre les 10 millions d'entrées France entre 1937 et 1939. J'ajoute qu'il fut également un succès international. Il fut le 2° plus gros succès du cinéma français aux USA après Mayerling lors de sa sortie en 1938. Il fut projeté durant 38 semaines d'affilé dans une salle d'art et d'essai londonienne, battant ainsi le record absolu pour un film français (détenu alors par Mayerling dans cette même salle). Le succès fut tel que les distributeurs décidèrent de le distribué dans tous le pays. Ce fut le premier film français à avoir une distribution national en Grande Bretagne."
Ce témoignage très documenté éclaire donc d'une manière sans équivoque : "La grande illusion" a été un énorme succès. Le film a bénéficié de trois grandes périodes d'exploitation. Celle de 1937 à 1939, celle de 1946 ainsi que celle de 1958 qui a fait près de 3 millions d'entrées à elle seule. Maintenant estimer le chiffre cumulé des entrées du film n'est pas aisé, l'information la plus importante c'est que le succès du film a été massif et qu'il est certainement le plus grand succès de Jean Gabin, de Pierre Fresnay qui ont vu leur côte auprès du public encore grandir. Il permet également à Jean Renoir d'entrer dans la légende. Pour Erich Von Stroheim c'est une véritable seconde carrière qui s'ouvre à lui avec son rôle légendaire.
En ce qui concerne cette fameuse estimation, une chose semble certaine c'est qu'il a fait 6.5 millions d'entrées depuis 1945. Une autre chose certaine c'est qu'il a été le film numéro un de 1937 à 1938 dans de très nettes proportions, doublant même la fréquentation des autres grands succès de l'époque. Il est évident que le film a eu le temps de faire plusieurs millions d'entrées avant qu'il soit interdit. Largement de faire 3.5 millions d'entrées qui permettent au film de partir sur une base de 10 millions d'entrées. Laurent, notre contributeur pense même qu'il est possible de monter jusqu'aux 15 millions d 'entrées , pourquoi pas. Je propose donc de couper la poire en deux. Mais encore une fois le but est plus de faire comprendre que le film a été un succès massif ( comme le dit Gabin lui même ce film aurait suffit à le faire manger).
Si le site est le premier à effectuer une estimation des entrées du film, ce n'est qu'une estimation même si elle est fort bien documentée (merci à notre contributeur). Le chiffre réel peut être 10 millions, comme 14, les sites qui souhaitent reprendre le chiffre (on ne nomme personne) ainsi que les contributeurs à Wikipédia sont donc prévenus, c'est une estimation raisonnable du score du film, mais seulement une estimation, ceci doit être clair.
ESTIMATION DU BOX OFFICE FRANCE DE " LA GRANDE ILLUSION " : 12.5 millions d'entrées.
BANDE ANNONCE DU FILM
AFFICHE REEDITION 1946
AFFICHES REEDITION 1958
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