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Par Renaud SOYER le 9 Octobre 2014 à 18:00
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L'AINE DES FERCHAUX
2 OCTOBRE 1963
Réalisation
Jean-Pierre MELVILLE
Scénario
Jean-Pierre MELVILLE
Photographie
Henrie DECAE
Musique
Georges DELERUE
Production
Charles LUMBROSO
Distribution
COMACICO
Tournage
08/62 - 11/62
Durée
102 minutes
Michel MAUDET
Jean-Paul BELMONDO
Dieudonné FERCHAUX
Charles VANEL
Lou
Michèle MERCIER
Angie
Stéfania SANDRELLI
Mr ANDREI
ANDREX
Michel Maudet, jeune boxeur, vient de perdre son troisième combat et son manager lui signifie la rupture de leur association. Le même soir, Dieudonné Ferchaux, vieux banquier, apprend qu'il va être mis en arrestation. Avant de fuir aux Etats-Unis, il passe une annonce pour engager un « secrétaire-garde du corps ». Michel, réduit aux expédients et sans scrupule, se présente. Ferchaux l'engage en toute connaissance de cause. Aux Etats-Unis, Ferchaux apprend qu'il est menacé d'extradition et que ses avoirs sont bloqués. Il entreprend, dans une voiture louée, une fuite vers le Sud. Michel se rend de plus en plus indépendant et semble guetter une occasion de s'emparer du viatique confortable emporté de France ou récupéré dans un coffre. Après diverses aventures, surveillés par le F.B.I, qui doit les empêcher de quitter le territoire, ils échouent à la Nouvelle-Orléans. Là, déprimé par le climat, Ferchaux voit sa santé décliner. Michel devient infirmier malgré lui, retenu par le prestige de la vieille crapule qui exerce sur lui un chantage au sentiment. Un soir, excédé, Michel sort en ville, se lie avec une danseuse française et s'enivre. Le lendemain, le tenancier d'un bar lui propose d'assommer le vieux et de prendre le magot. Il refuse mais décide de s'en emparer seul. En proie à une crise cardiaque, Ferchaux le laisse faire. Ayant rejoint la danseuse, Michel est assailli par le remords de ses divers abandons. Il revient à la villa pour trouver Ferchaux aux prises avec deux malfaiteurs et les met en fuite. Mais le vieux agonise et meurt entre les bras de Michel troublé.
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Il est étonnant de constater la différence de traitement entre « Le Doulos » qui a généré des articles dithyrambiques et « L’ainé des Ferchaux » sorti quelques mois plus tard qui lui ne bénéficie que d’un traitement plus confidentiel.
Et pourtant les deux films sont réalisés par Jean-Pierre MELVILLE et bénéficient de la présence de Jean-Paul BELMONDO. Alors pourquoi ce film est-il le vilain petit canard de la filmographie du célèbre réalisateur ?
A la base, il y a un des nombreux ouvrages de Georges SIMENON, sorti en 1945. Alain DELON fut intéressé par monter le projet avec Jean VALERE comme réalisateur et Romy SCHNEIDER comme actrice. Mais l’acteur abandonne le projet pour tourner en Italie. Le producteur dont s’est le premier film le propose à Jean-Paul BELMONDO qui accepte si c’est Jean-Pierre MELVILLE qui le met en scène. Le réalisateur accepte à la condition de réécrire le roman. Georges SIMENON s’en fiche du traitement de ses œuvres par le cinéma, et MELVILLE prend donc le soin de réécrire le livre en 8 jours.
Il reste à trouver l’acteur qui sera capable d’interpréter le rôle de Dieudonné FERCHAUX. Toujours amoureux des USA le réalisateur pense à une star américaine mais doit se rabattre sur Charles VANEL. Mais MELVILLE va s’apercevoir que ce dernier a négocié avec la production un droit de regard sur les dialogues, ce qui l’agace prodigieusement et n’annonce pas un tournage des plus faciles. De plus le tournage doit se dérouler aux USA et VANEL veut emmener sa femme, à la grande colère de MELVILLE qui déclare de manière pas très polie qu’une femme n’a rien à faire sur un tournage.
La production n’étant pas en mesure de supporter un tournage aux USA, une petite équipe est envoyée pour filmer quelques décors naturels et autres vues de New York. L’ensemble du film est tourné dans les studios Jenner qui appartiennent au réalisateur ce qui ne lui déplait pas. La scène de salle des coffres que l’on voit dans le film a été en fait filmée au sein d’une grande banque française, et les scènes sur routes ont été tournées en province.
Durant le tournage, MELVILLE va se révéler assez détestable avec Charles VANEL. Mais BELMONDO va venir à sa rescousse. C’est que le jeune acteur respecte cette légende du cinéma français, c’est clair qu’il apprend à ses cotés et le vétéran apprécie le jeune acteur. Résultat des courses, les deux acteurs font corps contre MELVILLE et ne lui adressent plus la parole. MELVILLE doit donc terminer son film « de commande » sans parler à ses acteurs.
Le résultat est pourtant bienheureux. Les deux acteurs s’entendent fort bien et cela se voit à l’écran et MELVILLE qui semble libéré de toutes contrainte formelle, déroule son cinéma qui devient efficace, sans fioritures. Ici, pas d’effets à la « Doulos », mais un road moie qui va à l’essentiel dans un décor américain qui n’en est pourtant pas un. Et pourtant il reste le talent de MELVILLE qui concocte un film bien différent du livre de SIMENON. Dans le livre Michel tue Dieudonné FERCHAUX pour lui arracher son argent, dans le film MELVILLE traite d’une histoire d’amitié entre un vieux chêne et un jeune arriviste.
Le film ne manque pas de scènes fortes, mais il est tout entier porté sur les épaules de ses deux acteurs, Charles VANEL en tête. Le vieil acteur livre une performance de très haute volée, prouvant s’il en était utile qu’il fut un des plus grands de sa génération. Il n’a pas besoin de MELVILLE pour démontrer son talent naturel. Pour une fois, Jean-Paul BELMONDO trouve un rôle qui correspond à son âge, à son profil et ça marche à l’écran. Et pourtant les deux acteurs reprochent au réalisateur l’essence même de son récit dans le fait qu’il leur semble incroyable qu’un banquier méfiant puisse faire confiance, sur un coup de tête, à un jeune homme surgi de nulle part. Peut être n’est-ce pas vraisemblable, mais toute fiction doit bien avoir un point de départ plus ou moins réaliste afin de composer une histoire… bref, MELVILLE a été contesté par ses deux acteurs que ce soit dans son coté relationnel ou bien dans ses talents de scénaristes.
Pourtant le réalisateur s’est donné bien du mal pour mettre en scène le combat de boxe dans une reconstitution fidèle aux vrais rencontres. D’ailleurs BELMONDO s’est fait « sonné » au cours du tournage. L’intrigue part bien et BELMONDO joue un rôle peu enviable de ce jeune boxeur retraité qui répond à l’annonce d’un banquier pressé de s’enfuir avant d’être arrêté. Michel, joué par BELMONDO va se révéler assez cruel. Lina sa petite amie l’aime sincèrement et l’accompagne dans toutes ses galères. Sans le sou il tente de vendre un de ses bijoux, mais personne ne veut lui racheter. Il fait croire à Lina qu’il n’a pas eu la force de vendre son bijou, un bel hypocrite. Pire, devant partir immédiatement avec FERCHAUX il abandonne Lina qui l’attend sans argent désespérément à la terrasse d’un café. En plus c’est un sacré salaud doublé d’un lâche.
Charles VANEL est éblouissant dans la première partie du film. Décrivant à son conseil d’administration ses petites broutilles qu’il a rencontré dans son passé, il ne se laisse pas abattre et démontre des qualités de battant. Un peu pressé par les évènements il engage très rapidement Michel comme « secrétaire » et garde du corps pour sa cavale. Les deux hommes se jugent durant le voyage aux USA et Michel est un secrétaire modèle. Ferchaux ne s’est pas encore fait un avis définitif sur Michel. Son opinion devient favorable lorsque Michel rosse deux GI’s dans un bar. La force de Michel impressionne le vieil homme. Mais petit à petit Michel prend le dessus sur Ferchaux qui perd de sa superbe au fur et à mesure de la cavale. Le banquier commence à avoir peur de Michel qu’il pense très intéressé.
Toujours génial Charles VANEL interprète un FERCHAUX dépendant de plus de Michel qui ne supporte pas la situation. Ce dernier se lie avec une prostituée locale interprétée par la sculpturale Michèle MERCIER tout à fait sublime, un an avant qu’elle ne devienne célèbre avec « Angélique ». L’ultra beauté de l’actrice éclabousse l’écran. Michel est tenté de prendre l’argent de Ferchaux pour vivre avec son amie. Il prend l’argent à Ferchaux désespéré et s’en va. Mais d’autres brigands vont dépouiller le vieil ours. Mû par sentiment qui l’honore, Michel vient au secours de Ferchaux qu’il ne peut sauver pendant que les brigands s’emparent de l’argent. Avant de mourir Ferchaux est heureux que son ami soit venu à son secours, il va lui donner l’adresse de son coffre remplit d’argent mais il meurt avant. Michel a tout perdu par amitié.
Simenon avait écrit une fin bien plus sombre, mais MELVILLE cède au sentimentalisme et offre une belle histoire d’amitié entre deux hommes. C’est donc un film à la lecture bien plus aisée que ses films précédents, un film sans prétention et qui compte au final sur une magnifique interprétation de Charles VANEL et d’un Jean-Paul BELMONDO magnifique, qui signe une prestation tout en nuance, à l’instar de « Léon Morin prêtre » du même MELVILLE. Le rôle de Michel lui convient parfaitement et correspond à son âge.
« L’ainé des Ferchaux » est donc paradoxalement un des meilleurs MELVILLE et pourtant les conditions de tournages ont été détestables. Comme quoi….
Le film va souffrir d’une réputation de bide total. Pourquoi ? Le film sort en exclusivité dans seulement deux salles à Paris et s’il réalise une belle moyenne par salles il ne se classe que 7ème dans le top de la semaine avec 27 000 entrées, ce qui fait dire que le résultat est fort décevant. On se rappellera que « Le doulos » s’est classé premier au box office à sa sortie. Et pourtant le film récolte plus de 300 000 entrées sur Paris ville, et égale le score du « Doulos » avec 1.4 millions d’entrées. Un score pourtant honorable, mais qui en cette année 1963 ne lui permet pas d’être mieux placé que dans le top 45 de l’année. Mais les étiquettes ont la vie dure et le film porte toujours cette réputation. Il faut dire qu’après une année 1962 portée par des succès, BELMONDO connaît une baisse d’entrées significative. Cependant au niveau de la qualité artistique, l’acteur peut se féliciter d’avoir tourné deux œuvres de qualité avec MELVILLE. Les relations entre BELMONDO et le réalisateur sont rompues du moins du coté de l’acteur. Il va se tourner vers des films plus commerciaux dans une année 1964 qui s’annonce explosive.
Jean-Pierre MELVILLE va se tourner vers Lino VENTURA pour son film suivant, mais il prendra un peu de temps pour le tourner. Avec un scénario écrit par José GIOVANNI et Lino VENTURA dans « Le deuxième souffle », il pourra peut être obtenir le succès commercial qu’il recherche tant.
CRITIQUES AUTOUR DU FILM
« Fort habilement tourné, ce film ne restitue pas la légendaire atmosphère simenonienne. Mais aucun cinéaste n’a su en fournir jusqu’à l’équivalent. Telle n’était peut-être pas l’intention de Melville ». (‘’Télé 7 jours’’).
« (…) Charles Vanel absolument remarquable, Jean-Paul Belmondo égal à lui-même, Michèle Mercier de plus en plus ravissante (…), quelque chose manque cependant au film pour que votre adhésion soit complète. Cette œuvre intelligente et soignée nous laisse, en effet, assez indifférents. Tout en nous intéressant aux personnages, nous gardons nos distances. C’est peut-être que Melville lui-même nous parle d’eux plus en théoricien qu’en complice et sans ce frémissement inimitable que provoque la sincérité ». (Jean de Baroncelli ‘’Le Monde’’).
« Je dirais volontiers de Melville ce que l’on disais de Claude Monet : ce n’est qu’un œil, mais quel œil ! il sait détecter l’essentiel, il sait surprendre un regard, un geste, mettre en valeur un détail du décor ou une attitude ; c’est un spectateur terriblement exigeant. A l’instar de l’homme du Mythe de la Caverne, le spectateur de cinéma se contente d’apparences. Mais quand ces apparences sont aussi délectables, le soleil du cinéma-vérité ne peut plus l’aveugler ». (Jean Domarchi, ‘’Cahiers du cinéma’, n°149. novembre 1963’).
« J’aime d’abord dans ‘’L’aîné des Ferchaux’’ la bonne santé d’un réalisateur qui ne pense pas déchoir en racontant une histoire solide, fondée sur des thèmes aussi éprouvés et fascinants que le voyage et la métamorphose, en nous attachant à des personnages et à un décor sans se croire obligé de recourir à des artifices de langage ou aux jeux de distanciation qui ne sont que la pirouette de la stérilité ou l’alibi de la fumisterie. Ce respect tout ‘’Hawksien’’ de l’aventure, cela porte un beau nom, cela s’appelle : l’honnêteté ». (Michel Flacon, ‘’Cinéma 63’’, n°79. septembre 1963).
Merci à Didier NOISY pour son travail sur les critiques du film
CATEGORIE
RANG
NOMBRE
SALLES
ENTREES FRANCE
42
1 484 257
ENTREES PARIS
337 933
1ère semaine
7
27 267
2
2ème semaine
6
26 493
3ème semaine
6
20 917
4ème semaine
8
17 265
Nombre de semaines Paris
9
Moyenne salles Paris 1ère sem
13 634
Cote du succès
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L'AINE DES FERCHAUX AFFICHE ESPAGNOLE
L'AINE DES FERCHAUX AFFICHE DANOISE
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